La diplomatie est-elle devenue un sport de combat?

Tandis que l’Assemblée générale de l’Onu se tient cette semaine à New York, il semble opportun de revenir sur la diplomatie face aux tensions d’un monde devenu dur, clivant, où le langage de la force tend à se substituer au langage de la négociation.

Une opinion de Raoul Delcorde, ambassadeur (hon.) de Belgique, membre de l’Académie royale de Belgique

L’Assemblée générale de l’Onu s’ouvre à un moment où la situation internationale est tout à la fois illisible, menaçante et complexe. On est entré dans un monde dur, où les tensions se sont exacerbées. Le multilatéralisme, patiemment construit pour favoriser la coopération entre les États, s’effrite irrémédiablement sous les coups de boutoir répétés de la « bagarre multipolaire », pour citer Hubert Védrine. On assiste au retour des « États puissances » : Chine, Russie, Turquie, Iran qui, dans une dynamique militaire décomplexée, définissent leurs intérêts sans hésiter à sortir du cadre juridique international. Pour les Occidentaux, c’est un réveil brutal. Le cas le plus emblématique de l’affaiblissement du multilatéralisme est le blocage complet du Conseil de sécurité par la pratique des veto russes et chinois depuis les interventions militaires occidentales des années 2000. Et, en parallèle, on constate qu’une série d’États utilisent un langage agressif, destiné à intimider.

 

Là où la diplomatie est traditionnellement conçue comme l’art de la litote et du langage oblique, on découvre une sémantique violente, une forme de pugilat verbal. Au lieu d’être mise au service de la conciliation d’intérêts nationaux conflictuels, la diplomatie est utilisée par les États pour étayer leur animosité. Certains ministres des Affaires étrangères utilisent abusivement des mots comme « ennemi », « concurrent » et « régime rival ». Le président américain n’a pas hésité à utiliser le terme « tueur » pour désigner le président russe. La réplique de ce dernier n’était guère plus aimable. Un ambassadeur chinois a qualifié le déplacement à Taïwan de la présidente du Congrès américain de « caprice d’octogénaire ». De la diplomatie discrète, on est passé à la diplomatie agressive.

L’essence de la diplomatie, c’est d’abord de croire à la vertu du dialogue. La diplomatie est l’art de concilier des intérêts différents, pour reprendre la formule d’Henry Kissinger. Une bonne diplomatie doit être capable d’anticiper les conflits. Sa priorité est d’établir la confiance, et non d’instiller des soupçons par des accusations et des invectives. Cette diplomatie ouverte et inclusive a été pratiquée avec un certain succès après (et même durant) la guerre froide au XXe siècle. Pour s’en assurer, il suffit de se référer au réseau de traités, accords et instruments internationaux conclus dans les domaines de la maîtrise des armements, du désarmement et de la non-prolifération. Bref, la voie du dialogue permanent (la voie de la diplomatie inclusive) a été choisie plutôt que la voie de l’exclusion agressive (la voie de la diplomatie exclusive).

Apprendre à dialoguer

En cette période de basculement du monde amplifiée par la pandémie et l’entrée dans l’ère du changement climatique, le diplomate ne doit pas céder à l’anathème mais bien plutôt apprendre à dialoguer avec ceux dont il est, par ailleurs, le plus éloigné, car la diplomatie consiste en bonne part à parler à ses ennemis. Cette écoute attentive (mais pas complaisante) peut seule façonner les bases d’une entente car pour faire la paix, il faut être deux, alors que la guerre peut se décider seul. Être diplomate, c’est se mettre à la place de son interlocuteur. Le langage diplomatique est un langage performatif, dont les mots se traduisent souvent en actes. Quand le diplomate s’en va (parce que réduit au silence par son adversaire, dans ce qui s’apparente à un sport de combat), les relations sont rompues, les tensions s’exacerbent. Lorsqu’il revient, les négociations reprennent et les tensions se réduisent. Alors seulement la diplomatie sera vectrice d’apaisement. L’instrument privilégié de la rencontre de « l’autre » c’est, sur la scène internationale, la négociation diplomatique.

Venons-en plutôt aux fondamentaux. Hans Morgenthau, le père de l’école réaliste en relations internationales, défend l’idée que le diplomate est un instrument dans l’arsenal du pouvoir d’influence. En cela, il fait écho à Ermolao Barbaro, l’ambassadeur de Venise à Rome en 1490, qui affirmait que « le premier devoir d’un ambassadeur […] c’est de dire, de faire, de conseiller et de concevoir ce qui peut le mieux servir la présentation et l’extension de son propre État ». Les diplomates acceptent-ils toujours que leur seul objectif soit de faire avancer les intérêts de leur État ? Beaucoup s’en contentent, il est vrai. Mais certains se voient comme œuvrant et, par conséquent, représentant l’idée de paix. On constate en effet que, défenseur des intérêts exclusifs de son pays, le diplomate est capable de vouloir défendre aussi des intérêts universels. Pensons, par exemple, à Sergio Vieira de Melho, qui accompagna le processus de paix au Timor-Oriental puis œuvra en Irak (où il perdit malheureusement la vie) ou encore à Richard Holbrooke, l’artisan de la paix en Bosnie, « The Unquiet American » pour reprendre le titre d’un article qui lui fut consacré. Cette évolution de la diplomatie est heureuse : les diplomates ont pris conscience d’un universalisme qui est dans le droit fil de leur cosmopolitisme antérieur.

Vous pouvez également retrouver l’article dans La Libre Belgique : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/09/21/la-diplomatie-est-elle-devenue-un-sport-de-combat

Raoul Delcorde, ambassadeur (hon) de Belgique

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