À quoi servent encore les diplomates?

Vous pouvez également retrouver l’article dans La Libre Belgique : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/12/31/a-quoi-servent-encore-les-diplomates

Une carte blanche de Raoul Delcorde, ambassadeur (hon) de Belgique, membre de l’Académie Royale de Belgique.

Le général de Gaulle eut un jour ce mot peu flatteur au sujet des diplomates : “les diplomates ne sont utiles que par beau temps. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte”. Et ces préjugés existent toujours. Au moment où je commençais ma carrière de diplomate, j’écrivis un article dans La Libre intitulé “Pourquoi entrer dans la diplomatie ?”. C’était en 1985 et les Affaires étrangères venaient de lancer une campagne de recrutement. Au terme d’une carrière de 35 ans dans la diplomatie, je peux tenter de désamorcer quelques clichés au sujet des diplomates. On me dira qu’étant (ou ayant été) l’un d’eux, je ne suis pas objectif. Pourtant, cela ne m’interdit pas de porter un témoignage nourri de mon expérience, alors qu’on vient d’annoncer un nouveau “concours diplomatique” pour avril 2023. 

Champagne et petits fours, une célèbre marque de chocolat, l’exercice de la tasse de thé, voilà à quoi on ramène ce métier qui se résumerait à des mondanités. Ce n’est qu’une parcelle de la réalité.

Sens de l’État et sacrifices

On reproche aux diplomates leur incapacité à prévoir les événements, de l’opération terroriste d’Al Qaïda le 11 septembre 2001 au Printemps arabe de 2011, de la chute de Kaboul en 2021 à la guerre en Ukraine début 2022. Mais les services de renseignement ont-ils été plus efficaces dans l’anticipation de ces événements ? Et lorsque la crise éclate, on reconnaît généralement que les diplomates sont plutôt efficaces pour agir dans l’urgence : l’évacuation de nos compatriotes durant la récente pandémie, ou lors de la prise de Kaboul par les talibans a démontré que les diplomates sont capables d’organiser un rapatriement tout en négociant avec les autorités locales et de gagner du temps pour éviter que les canaux diplomatiques ne soient complètement fermés. Et la fonction fait l’homme (ou la femme) : confrontés à la “dictature de l’urgence” nombreux sont les diplomates qui ont eu comportement courageux et à la hauteur des événements. Les diplomates ne façonnent pas la politique étrangère de leur pays ; ils la mettent en œuvre, et si celle-ci est hasardeuse voire mal pensée, il ne faut pas le reprocher aux diplomates, qui sont des serviteurs de l’État. Mais dans les interstices de leur fonction se logent souvent de remarquables qualités d’analyse et de connaissance du terrain que les autorités politiques (ou économiques) feraient bien d’utiliser. Et l’on ne dit pas assez que les diplomates sont animés d’un véritable sens de l’État, et qu’ils sont capables de sacrifices pour cela.

L’idée quelque peu mythique que l’on se fait encore aujourd’hui de la diplomatie est celle du Congrès de Vienne. C’était l’époque où des diplomates courtois et policés (c’est presque une tautologie) acceptaient l’idée que l’ordre international était préférable à la guerre, recherchant un équilibre entre les nations. La figure emblématique de cette diplomatie est Talleyrand, qui était motivé par la défense des intérêts de la France. Transposé dans l’ordre international, cela signifie que la diplomatie est préférable à la force, la négociation à la guerre, le compromis à la violence. Même s’il est vrai que, dans les relations internationales, tantôt on se bat avec des armes et tantôt avec des mots. Mais aujourd’hui ce métier est devenu plus difficile parce que les rapports de force sont en permanente mutation (cf les puissances émergentes), les menaces plus diffuses, et les relations internationales globalisées.

La relation et la parole

Beaucoup de choses ont changé depuis l’époque où l’on a institué le métier de diplomate et créé le corps diplomatique. Mais quelques caractéristiques demeurent. Le travail diplomatique a la relation humaine pour principal terreau et la parole comme outil. Au fond, la diplomatie, c’est la compréhension de l’”autre”. Qu’il soit partenaire commercial, adversaire stratégique ou allié idéologique, c’est toujours et chaque fois de l’”autre” qu’il s’agit. Le politologue américain Paul Sharp explique, dans une formule lumineuse, que “le diplomate représente son pays dans le monde et le monde dans son pays”. L’instrument privilégié de la rencontre de l’”autre” est, sur la scène internationale, la négociation diplomatique. Et tôt ou tard, il y aura une négociation internationale qui mettra fin (définitivement, espérons-le) à la guerre en Ukraine. On a fait remarquer que la guerre se décide seul, alors que la paix, comme tout accord diplomatique, se négocie à deux ou à plusieurs.

La fascination de l’”autre” imprègne le métier de diplomate. C’est un métier extraverti, ouvert sur la société, et à son écoute. L’image du diplomate mondain est peu compatible avec cette diplomatie de terrain, qui est la norme aujourd’hui. Et pour mieux connaître cet autre, il faut en étudier la culture, la langue souvent, son mode de pensée, le fréquenter, dialoguer avec lui. La relation à l’autre peut devenir elle-même un élément de la vie internationale : c’est ce qui se produit lorsqu’on met en place une organisation internationale ; en elle, moi et les “autres” forment en quelque sorte un “nous”, qui devient un interlocuteur des États (c’est ce qu’on appelle la diplomatie multilatérale). Que ce soit depuis Varsovie, Kinshasa ou Tokyo, mais aussi à Kiev (sous les bombes), le diplomate est celui qui fait souvent le premier pas vers l’ »autre”. Le monde n’en deviendra, à chaque fois, que plus humain. Plus que jamais notre monde a besoin de diplomates. Il faut les recruter, les former et leur faire confiance.

Raoul Delcorde, ambassadeur (hon) de Belgique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *